Création de Philippe PINOT
Jean Moulin est étudiant en droit à Montpellier lorsqu’il est mobilisé, le 17 avril 1918. Il est affecté au 2e génie de Montpellier.
La guerre s’éternisant, il faut envoyer au plus tôt les nouvelles recrues au front et la formation militaire est accélérée. Il part le 20 septembre 1918, quelques jours après le décès de sa cousine et marraine Jeanne Sabatier, décédée le 11 septembre de la grippe espagnole. Il ne peut assister à ses obsèques.
Il est envoyé dans les Vosges, à Socourt, où il est hébergé chez l’habitant. Il est prévu qu’il monte au front mi novembre, mais l’armistice du 11 novembre le libère de cette obligation. Des prisonniers libérés passent par Charmes. Il est très impressionné par les anglais qui reviennent d'Allemagne.
Il quitte Socourt pour Metz début décembre 1918. Il y aura donc passé près de deux mois et demi.
Socourt a longtemps ignoré ce séjour de Jean Moulin qu’il atteste lui-même dans quelques courriers à sa famille. C’est après un contact avec la famille que monsieur Jean-Luc Martinet, maire de Socourt, proposa à son conseil municipal d’ériger un monument commérant cet évènement.
Ce monument fut inauguré le 3 mai 2025 en présence de madame la prèfète des Vosges et de la famille de Jean Moulin.
Projet de Philippe PINOT
Inauguration le 3 mai 2025
Madame la Préfète des Vosges
Monsieur le Sénateur
Monsieur le Président du Conseil Départemental des Vosges
Monsieur le Président de la CAE
Mesdames et Messieurs les Maires
Mesdames, Messieurs,
Qui l’eut cru ? Nous sommes réunis aujourd’hui en ce lieu pour rendre hommage à un héros oublié pour les uns, un illustre méconnu pour les autres, un monument de la nation tout simplement. Mon parcours professionnel, associatif puis en qualité de Maire de ce village de 280 habitants depuis 2001 m’a amené à être locomotive de nombreux projets… parmi les plus improbables. Mais jamais ô grand jamais je n’avais imaginé me retrouver au cœur de ce village qui m’a vu naître pour évoquer Jean MOULIN. Et pourtant, nous sommes bien réunis ici pour cela : pour inaugurer un mémorial édifié en l’honneur de ce grand homme, près de 82 ans après sa mort non loin d’ici en Moselle annexée dans un train le conduisant en Allemagne.
Je n’imaginais pas davantage la difficulté de prendre ma plus belle plume pour évoquer, revêtu de l’écharpe tricolore, le sacré, ce que la France a compté de plus beau, de plus grand, de plus héroïque. Mais quel honneur, quelle responsabilité également.
Une responsabilité qui ne tient pas seulement à l’exigence d’une évocation fidèle de ce que fut Jean MOULIN, je ne suis pas historien, mais de l’angle sous lequel évoquer ce personnage de légende. Je me suis interrogé et interrogé encore avec le souci de ne pas faire injure à sa mémoire devant vous et ses cousins que je remercie le plus chaleureusement d’avoir effectué le déplacement depuis le département de l’Hérault :
Fallait-il évoquer l’homme et son attachement familial à Laure sa sœur et à son frère Joseph trop tôt disparu ?
L’artiste, le grand amateur d'art et dessinateur confirmé ?
Le sportif accompli épris de sports mécaniques et de ski ?
Le brillant parcours dans la préfectorale en dépit de l’obtention d’un baccalauréat sans mention et dit-on sans éclat ?
Le résistant, celui dont le général de Gaulle a fait son représentant officiel pour unifier la résistance lors de la seconde guerre mondiale ?
Celui qui le premier présida le Conseil National de la Résistance le 27 mai 1943 ?
Celui dont la trahison par son propre camp le conduira dans les griffes de Klaus BARBIE surnommé « le boucher de Lyon », chef ambitieux de la Gestapo privé du destin qu’il convoitait pour n’avoir pas su faire avouer à Jean MOULIN qu’il était Max, excepté un cours instant, le crut-il, lorsque l’homme qui nous réunit aujourd’hui, torturé depuis plusieurs jours, la mâchoire fracturée et incapable de prononcer le moindre mot invita son geôlier à lui tendre un carnet et un stylo ? Ce ne fut pas pour trahir ce pays qu’il chérissait plus que tout, et pas davantage cette République qu’il avait chevillée au corps, et encore moins pour trahir ses compagnons de la résistance, mais pour caricaturer son bourreau. Au travers de cet acte insensé, Jean MOULIN a fait resurgir Romanin muni d’une arme improbable mais redoutable pour vaincre la barbarie.
Et puis il m’est apparu évident de devoir évoquer brièvement et très simplement Jean MOULIN pour la raison première qui nous réunit aujourd’hui : le soldat né le 20 juin 1899 à Béziers, mobilisé en avril 1918 avec la compagnie 104 du deuxième régime du génie, envoyé dans l’Est, il arrivera dans les Vosges avec sa compagnie le 20 septembre de la même année. Les manuels d’histoire évoquent son passage par les Vosges, mais aucune trace en dépit de nos recherches d’un quelconque passage par Socourt.
Et pourtant, les cartes postales et les lettres attestent sans le moindre doute possible de son cantonnement prolongé à SOCOURT durant trois mois, quatre peut-être.
Il s’apprête à monter en première ligne et à connaître l’épreuve du feu pour participer à la grande offensive finale en direction de l’Allemagne que prépare Foch. Lui et ses camarades y échapperont. Jean MOULIN était à SOCOURT en ce 11 novembre 1918, jour d’armistice de la première guerre mondiale. Il fut témoin de ces soldats rentrant du front, du retour de ces prisonniers rescapés. On peut s’interroger dans quelle mesure cet épisode a-t-il pu façonner l’unificateur de la résistance ?
Quel rôle a pu avoir cette douloureuse expérience dans l’empreinte indélébile de ce personnage historique, devenu le synonyme et l’emblème de la Résistance, du courage et du sacrifice, avant même son ralliement à la cause du général de Gaulle et son entrée en clandestinité. Combien de rues ou d’établissements scolaires portent ce nom ? Mais c’est le plus souvent l’unificateur de la résistance qui est honoré. Combien parmi nous se souviennent de son rôle aux côtés du ministre Pierre Cot, alors ministre de l’Air, dans le soutien à la république Espagnole lors de la guerre civile contre le dictateur Franco ?
Ou encore sa tentative de mettre fin à ses jours le 17 juin 1940 après plusieurs jours de maltraitance, alors même qu’il avait fait le choix de demeurer Préfet d’Eure-et-Loir sous le régime de Vichy pour servir celles et ceux qui n’avaient pas fui, pour ne pas déshonorer son pays au travers de la signature d’un protocole infamant pour l’armée française mettant en cause les tirailleurs sénégalais dans le massacre de civils que Jean Moulin savait fort bien imputable à l’aviation allemande.
Qui serait capable d’un tel acte de nos jours, qui sacrifierait jusqu’à sa propre vie pour préserver l’honneur de sa patrie ?
Même après sa mort, lors de son entrée au Panthéon un jour glacial de décembre 1964, Jean MOULIN a continué de servir son pays en contribuant à unifier une nation divisée, deux ans après la fin du conflit algérien.
Jean MOULIN avait un destin, pas celui de perdre la vie durant les combats de la guerre de 14-18, et pas davantage à Chartres en juin 1940, mais d’élever une nation, d’écrire sa légende, de devenir un exemple pour nous tous pour l’éternité.
A l’échelle de SOCOURT, nous allons œuvrer à honorer sa mémoire et rappeler à notre jeunesse ce que nous devons aujourd’hui encore à ce héros français. Et SOCOURT de s’enorgueillir d’avoir si bien accueilli ce jeune soldat si loin des siens durant la première guerre mondiale. Pour l’anecdote, il fit le récit à ses parents, vous allez l’entendre, d’une partie de pêche au moins sur la Moselle au cours de laquelle il prit et rapporta avec trois de ses camarades une bonne friture.
SOCOURT et la pêche déjà en 1918, sous la plume de Jean MOULIN, rendez-vous compte !
Avant d’entendre cette jeunesse, j’achèverai mon propos par une citation de Roger JOLY : « Il est des circonstances où des hommes ont l’étrange pouvoir d’influer sur le cours de l’Histoire en dépit des éléments contraires ». C’était cela Jean MOULIN !
Socourt, le 25 septembre 1918
Chers parents,
Me voilà bien reposé. Nous sommes logés dans un petit village près de Charmes, Socourt. Là c’est la compagnie 104.
Nous sommes bien ici. Nous cantonnons dans des maisons du village. Mais je crois que nous ne sommes là que pour quelques jours. Nous irons sans doute au camp de Gripport où sont mes camarades.
Nous sommes bien nourris. Nous avons du pain délicieux. Puis il y a beaucoup de vaches ici. Le lait n’est pas cher. Nous avons traversé Charmes. C’est une jolie petite ville. Le dimanche nous pourrions y aller promener.
Aujourd’hui le temps est superbe. Le soleil est resplendissant, ça nous rappelle presque la Provence.
J’espère que vous êtes en bonne santé.
Je vous embrasse.
Jean
Socourt, le 28 septembre 1918
Chers Parents,
J’ai reçu la lettre de papa et le mandat. Je vous remercie beaucoup. J’écrirai à Ollier un de ces jours.
Nous sommes maintenant bien installés. Nous avons des couchettes en bois et de bonnes paillasses.
Il commence à faire un peu froid, mais nous sommes bien couverts.
Je suis ici avec un caporal qui est de Carpentras et qui connait Liardet Joseph de Saint-Andiol. Ils étaient à l’hôpital ensemble. Nous parlons provençal, ça fait plaisir.
Le dimanche nous faisons du football, des courses à pied. Les lieutenants, le major donnent des prix.
Comment vont tante et toute la famille ?
Meilleurs baisers
Jean.
Socourt, septembre ou octobre 1918
Chers Parents,
Il y a très longtemps que je n’ai reçu de vos nouvelles.
La poste marche très mal, je crois. Et puis, le numéro de notre secteur a changé. C’est maintenant le secteur 227. Pour le reste c’est la même adresse. Nous avons changé d’adresse sans changer de place.
Ici, il fait toujours froid, mais le temps est beau.
Vous devriez m’envoyer un peu d’argent. Je n’en ai plus guère. Et si nous partons ça me ferait plaisir.
J’espère que vous êtes tous en bonne santé
Recevez mes meilleurs baisers.
Jean
Socourt, septembre ou octobre 1918
Chers Parents,
Je suis étonné de ne pas recevoir de vos nouvelles. Peut-être mes lettres ne sont pas toutes parvenues à destination. Je vous écris à Béziers, mais je ne sais pas si vous y êtes déjà.
Ecrivez-moi un peu pour me dire ce que vous devenez. Ici c’est toujours la même vie monotone.
Deux ou trois fois par semaine nous avons le cinéma des armées qui vient nous donner des représentations après souper, ça fait passer le temps.
Il y a quelques jours nous sommes allés pêcher sur la Moselle avec trois camarades. Nous avons rapporté une bonne friture.
Vous voyez que nous ne nous en faisons pas trop. Nous mangeons toujours bien, aussi je crois que j’ai engraissé.
J’espère que vous êtes tous en bonne santé.
Meilleurs baisers
A bientôt de vos nouvelles.
Jean
Socourt, septembre ou octobre 1918
Chère Marcelle,
J’ai bien reçu tes deux lettres consécutives qui m’ont bien fait plaisir.
Tu dois être bien contente que la rentrée des classes soit retardée. Mais si tes vacances touchent à leur fin, les miennes vont bientôt commencer. Je pense aller en permission sous peu.
Je ne t’ai pas dit que j’avais été nommé sapeur de 1ère classe.
Ecris-moi un peu lorsque tu auras un moment. Yvonne aussi.
Je me porte très bien et je crois que j’engraisse tous les jours, l’air des Vosges me fait du bien.
J’espère que vous êtes tous en bonne santé et je vous embrasse tous bien fort.
Jean.
Socourt, le 22 Novembre 1918
Chère Laure,
Merci bien de ta dernière lettre. Tu es gentille, mais tout de même, tu aurais pu m’écrire un peu plus longtemps.
Est-ce que tu as beaucoup de travail à l’école ?
Que fait-on à Béziers ? Fait-il froid ? Ici, ça commence bien : 12 degrés en-dessous de zéro avant-hier, mais comme il ne fait pas de vent, c’est supportable.
Il y a quelques jours, j’ai acheté un imperméable à un Américain. Il m’a coûté 12 francs ; ce n’est pas cher. Bien sûr, il n’a rien d’extraordinaire ; il me protégera bien.
A Charmes, il passe des prisonniers anglais qui reviennent d’Allemagne ; ils font peur : ce ne sont que des squelettes. J’ai causé avec un, à la cantine anglaise, qui ne devait pas peser 30 kg.
Il me racontait tout ce qu’ils avaient souffert ; c’est affreux. Ils étaient encore plus maltraités que les Français. On est obligé de les garder quelques jours ici pour les soigner avant de les renvoyer chez eux. On est obligé de les rationner : beaucoup, parait-il, sont morts en route pour avoir trop mangé.
Enfin, j’espère que, là-bas, vous êtes tous en bonne santé. Moi, je me porte très bien pour le moment.
Je vous envoie mes meilleurs baisers.
Jean
Il a y très longtemps que je n’ai rien reçu de Saint-Andiol ; que font-ils ?